"Dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron, onze ONG et collectifs citoyens réclament l’abandon du terminal T4, qui devrait accueillir 40 millions de passagers en 2037. Un projet incompatible avec les engagements de l’accord de Paris sur le climat"
Monsieur le Président de la République,
nous vous demandons l’abandon du projet d’extension de l’aéroport de Roissy (Terminal 4) au nom de l’urgence climatique.
Lors de votre discours du 24 septembre 2019 à l’assemblée générale de l’ONU, vous avez déclaré qu’il fallait « remettre en cohérence nos agendas et nos actions » et qu’il fallait « que les grands pays de ce monde arrêtent de financer de nouvelles installations polluantes dans les pays en voie de développement. » Vous avez également déclaré vouloir mener « cet agenda de réconciliation »
en France et en Europe.
En toute cohérence, cette ligne est également celle de votre gouvernement. Comme l’a déclaré votre secrétaire d’Etat Brune Poirson, représentante de la France lors de la COP 24 à Katowice, « les scénarios du GIEC sont connus de tous. Nous ne sommes pas sur la bonne trajectoire d’émissions pour survivre. [...] Ce diagnostic nous l’avons tous reconnu en signant l’Accord de Paris. Il nous incombe donc d’être cohérents, c’est-à-dire d’agir en conséquence à tous les niveaux. »
Cette cohérence est en effet essentielle. Elle est même la condition de la confiance des citoyens dans l’action politique. Et c’est cet agenda de cohérence entre les mots et les actes que nous appelons de nos vœux dans le domaine du transport aérien aujourd’hui. Vous avez mis en place le Haut Conseil pour le Climat. Ce dernier a également mis en avant l’exigence de cohérence dans son rapport 2019. Selon ce rapport, « l’objectif de neutralité carbone en 2050 visé par la stratégie nationale bas-carbone révisée est cohérent avec les objectifs de
l’accord de Paris et les dernières connaissances scientifiques, mais il ne couvre pas l’entière responsabilité de la France car les émissions liées aux transports aériens et maritimes internationaux et aux importations ne sont pas incluses ».
Le transport aérien illustre en effet pleinement ce mur de l’incohérence auquel nos responsables politiques se heurtent trop souvent. Et le projet de terminal 4 à Roissy porté par le groupe ADP est plus encore archétypal. Selon les chiffres d’ADP, le terminal 4 pourrait générer une hausse de trafic aérien de 38% d’ici 2037, avec 500 avions de plus par jour (au total 1 800 vols quotidiens) et
40 millions de passagers de plus par an. Soit la capacité de l’aéroport d’Orly ajoutée à celle de Roissy ! Ce trafic accru ajouterait 12 Mt d’équivalent CO2 aux émissions annuelles de la France d’ici 2037. Or, pour atteindre l’objectif de neutralité carbone que s’est fixé le pays pour 2050, il ne faudra pas émettre plus de 100 Mt d’équivalent CO2 en 2037. A cette date, le trafic lié au terminal
4 représenterait donc à lui seul 12 % des émissions autorisées pour la France, et le trafic total de Roissy environ 35% (1).
Enfin, la Commission Nationale du Débat Public, reléguée au rôle ingrat de simple garant de la concertation préalable menée par le groupe ADP - par un artifice juridique dénoncé par sa présidente Chantal Jouanno (2) -, n’a pas manqué de noter dans son bilan de la concertation qu’ «il conviendrait que l’État précise comment l’évolution du trafic s’insère dans le cadre des
engagements internationaux de la France dans la lutte contre les changements climatiques.»
A notre connaissance, aucune réponse satisfaisante n’a été fournie à ce questionnement. La contribution de la DGAC datant de juillet 2019 (3) invoque une taxe trop faible pour qu’elle infléchisse la croissance du trafic de manière significative et renvoie à une logique de compensation carbone dont la pertinence pour réduire l’impact climatique de l’aérien n’est aujourd’hui pas démontrée. En effet, selon une enquête réalisée pour la Commission européenne, 85% des projets de compensation analysés avaient une faible probabilité de remplir les critères attendus en matière de réduction d’émissions (4). La croissance des émissions de gaz à effet de serre du transport aérien n’est pas compatible avec les objectifs de l’accord de Paris sur le climat
(5).
Dès lors, il ne fait aucun doute que le projet de terminal 4 à Roissy Charles de Gaulle n’est pas cohérent avec les engagements de la France. C’est pourquoi nous demandons instamment que l’Etat, au nom de la cohérence climatique, s’oppose à cette extension aéroportuaire.
Alors que l’urgence climatique se fait plus pressante, il faudrait même aujourd’hui amorcer la décroissance du transport aérien en s'appuyant sur une fiscalité incitative permettant également de financer des alternatives, et en premier lieu les trains, de jour comme de nuit. Longtemps négligés, ces derniers peuvent permettre, sans grands travaux, de connecter l'Europe sur des distances pouvant atteindre 1500 km, ce qui couvre une large part des destinations aériennes.
Avec nos très respectueuses salutations,
Associations signataires : Advocnar, Non au T4, Réseau Action Climat, Fnaut, France Nature Environnement, France Nature Environnement IDF, Amis de la Terre, Stay Grounded, Oui au train de nuit, Alofa Tuvalu, TaCa Agir pour le climat, Alternatiba ANV-COP21 Paris.
(1) Selon la
DGAC, le trafic aérien de Roissy a été responsable de l’émission de 13,2 Mt CO2
en 2018 (LTO + 1/2 CR + APU) pour 72,3 millions de passagers. En 2037, on peut
estimer qu’il sera responsable de l’émission de 17,4 Mt CO2, dont
6,2 Mt attribuables aux 40 millions de passagers supplémentaires accueillis par
le T4. Nous avons tenu compte dans le calcul de la diminution des émissions par
passager en supposant que le rythme d’amélioration de l’efficacité de 0,85% par
an constaté depuis 2010 se poursuivrait jusqu’en 2037. Pour tenir compte du
forçage radiatif des traînées de condensation et cirrus induits et des
émissions de CO2 liées à la production du kérosène, il faut, selon
l’Ademe, multiplier par 2,2 le chiffre d’émission de CO2, soit 35 Mt
CO2 pour l’ensemble de l’aéroport en 2037.
(2) Lettre de
la présidente de la CNDP adressée le 7 juin 2018 au Premier ministre ainsi qu’à
la ministre des Transports, la présidente de la région Ile-de-France et le
ministre de la Transition écologique et solidaire. Dans cette lettre, elle
demandait également que soit organisé un débat public sur la cohérence des
projets envisagés dans le nord de l’Ile-de-France (Terminal 4, Europacity, CDG
Express, ligne 17 et infrastructures olympiques), sujet non abordé lors des
débats relatifs à chacun de ces projets.
(3)
Conclusions de la CNDP sur la concertation Terminal 4. Contribution de la DGAC
pour la réponse des pouvoirs publics à la demande de précision numéro 3. Juillet
2019.
(4) How
additional is the Clean Development Mechanism? : Analysis of the application of
current tools and proposed alternatives, Öko-Institut, 2016.
(5) Etude International
Aviation and the Paris Agreement Temperature Goals, David Lee,
Professor of Atmospheric Science and Director of the University’s Centre for
Aviation, Transport, and the Environment, commanditée par le Department for
Transport
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